Récits de course

TDS® 2016, quand le partage dessine la ligne d’arrivée…

L’an dernier je m’étais déjà inscrit sur la Trace des Ducs de Savoie avec un objectif défini. Je n’étais pas parvenu à l’atteindre, j’avais donc décidé de revenir et de parcourir à nouveau ce chantier pour rentrer dans mon objectif. Je savais que ce n’était pas une mince affaire mais je ne m’attendais pas à ce que la défaillance vienne de moi! Non pas que je sois infaillible mais je pensais maitriser mes ravitaillements, mon hydratation et le parcours, le connaissant. Mais tout cela ne s’est pas passé comme dans mon imagination…

Mercredi 24, 3:00 :

Réveil rapide, la nuit avant une course n’est jamais simple, le sommeil est léger et l’excitation prend le dessus sur la fatigue. Le rituel alimentaire d’avant course fait, il faut ensuite s’habiller minutieusement pour ne rien oublier car le départ est de l’autre côté du tunnel et chaque manquement est réprimandé par l’organisation aux contrôles. Une fois prêt, je rejoins le bus et les centaines d’autres coureurs, nous sommes tous plus ou moins dans le même état de concentration, certains avec la musique, d’autres en profitent pour somnoler.

Mercredi 24, 5:00 :

Arrivés dans Courmayeur, nous marchons pour rejoindre le centre ville, place mythique des départs de la CCC et de la TDS. Deuxième fois pour moi en ce mois d’Août car j’étais venu faire un double kilomètre vertical avec cette même place en guise de ligne de départ. Le fait de connaitre les lieux a un côté extrêmement rassurant. L’heure est aux derniers préparatifs de sac et de tenue. Chaque chose a sa place, bien équilibrée, bien pliée pour prendre le moins de place possible et surtout pour ne pas créer d’échauffements.

Mercredi 24, 5:40 :

Je me place dans le sas élite au devant de la course, les dossards sont attribués en fonction de notre côte ITRA significative de nos différents résultats au cours des dernières années. Cela m’a permis d’avoir le dossard 6095, j’avais donc la 95e meilleure côte ITRA de la course au niveau international. C’est un moment que j’apprécie toujours énormément car on se retrouve au beau milieu de très bons coureurs.

Mercredi 24, 6:00 :

Le départ est sur le point d’être donné, musique, paroles saisissantes, l’organisation sait faire monter l’émotion en nous, le soleil se lève mais c’est encore la lune qui nous permet d’admirer les sommets recouverts de neige. Beaucoup de choses me traversent l’esprit à ce moment précis. Beaucoup d’ambition au départ mais quelques mots de sagesse me reviennent: « Fais bien les choses, il faut voir Chamonix. » Je fonctionne énormément par visualisation, et une image en particulier me revient, celle de mon arrivée de 2015 avec deux autres coureurs main dans la main! C’est pour ce genre de dépassement et d’émotions que je suis là, prêt à vivre une grande et belle journée! Ce départ de fou à 4’00 au kilomètre dans les rues de Courmayeur est bien illustré par cette photo! Vous me voyez? J’ai un tee-shirt rouge et blanc!

Départ TDS

Mercredi 24, 7H37

Après une bonne ascension de près de 1300 m de D+, me voilà sur l’Arête du Mt Favre. Je suis à ma place, dans mes temps, sans fatigue. Le temps est splendide, les différents passages entre ombre et soleil matinal sont très agréables car les températures sont douces… Je me souviens très bien de mes passages de l’an dernier et, cette fois, je prends le temps de regarder plus loin que deux mètres devant moi. Comme vous pouvez le voir sur le profil, le « chantier » est loin d’être fini.

Arête du Mt Favre

 

Mercredi 24, 10H39

Me voilà au col du Petit-St-Bernard ou Colle del Piccolo San Bernardo et oui… car c’est le passage de l’Italie vers la France. Ce col marque la séparation entre la vallée d’Aoste et la vallée de l’Isère. Entre le col et l’Arête du Mt-Favre je suis passé par le lac Combal, superbe endroit où j’ai vu Laurence et Coline. C’est toujours très sympa d’entendre son nom en pleine montagne italienne! Ça change des « Grannndéééé »! Après deux courses en Italie sur le Mois d’Août, mon lexique italien s’allonge énormément!

De l’Arête du Mt-Favre jusqu’au Col du Petit St Bernard, nous passons par un endroit magique, le lac Verney. Je remercie Sandrine, la compagne de David, un coureur Rouennais lui aussi sur la TDS pour ces photos qui illustrent à merveille ce passage!

Coté sensations, je commence à avoir CHAUD! Et je sais que la longue descente vers Bourg-St-Maurice ne fera qu’empirer la situation! Alors je bois, puis je bois, puis je me mouille la tête, puis je bois! Bref je ne pense pas à la suite… Car si connaitre le parcours peut aider, cela peut aussi faire prendre conscience de la fournaise dans laquelle je vais m’engager dans quelques heures… Je décide de me concentrer sur l’instant présent tout en veillant à ne pas me déshydrater car après il est trop tard!

Mercredi 24, 12H11

Bourg St MauriceJ’ai chaud, j’ai faim, j’ai soif, j’ai mal au ventre et c’est tout! Je m’acclimate beaucoup moins bien que ce que je pensais. Mais le premier point de ravitaillement extérieur de la course est là et je retrouve Flavie. Quel soulagement de la voir, c’est rare mais j’ai besoin de me plaindre « un peu »! Je ne m’assoie pas mais je prends le temps de me sécher « un peu », de bien manger et une fois de plus de bien boire. Nous sommes bien organisés avec Flavie et elle me connait bien, c’est un précieux atout dans ces moments où on n’a pas toute notre tête! Dix minutes plus tard, je décide de repartir pendant que je suis « chaud »! Passage par le contrôle du matériel et par ces quelques mètres dans les rues de Bourg-St-Maurice. Les quelques mètres depuis la sortie du centre sont un enfer, la digestion est compliquée, il faut que je prenne mon temps… La courbe sur le profil parle d’elle même, une grosse bosse chauve avec le soleil dans le dos!

L'heure de reprendre des Forces!

J’ai quitté le ravitaillement avec deux litres d’eau, il faut être économe et patient jusqu’au Fort de la Platte. Dans mon ascension, je vois des mecs redescendre en me disant « Moi j’y vais pas, trop chaud, c’est fini pour moi! » D’autre assis dans un coin d’ombre ou qui marchent au ralenti… Je garde un bon rythme que je partage avec Pierre, nous discutons, échangeons des pensées positives mais surtout nous grimpons bien!

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Mercredi 24, 14H00

5,3 km plus tard et 1150 m de D+ nous voilà à l’Oasis du Fort de la Platte! Je vous raconte ça avec ironie aujourd’hui mais l’ambiance était tout autre! Avec Pierre on boit, on boit, on remplit, on boit, on remplit et on repart! Direction le passeur de Pralognan, Pierre prend les devants et me dépose… Quelques minutes plus tard et toujours sur le ton de l’ironie qui nous caractérise, il me dit « je dois être au bureau demain à 9H00 alors ne m’en veux pas mais je traîne pas! » Extra, c’est pour des moments comme celui- là que j’aime partager et échanger sur le bord des sentiers! A ce moment-là je pense: « merci Pierrot pour ces quelques kilomètres ensemble, on aura bien rigolé! »

De mon coté le chemin de croix débute, je n’avance plus, je baille, j’ai soif malgré un estomac plein d’eau… Je sens que mon état n’est pas au mieux. Je me retrouve seul dans ce grand espace, c’est le moment de se recentrer et de travailler sur la visualisation positive. C’est une technique que j’apprécie et que je commence à maîtriser. Prendre le temps de se remémorer, de regarder devant, de trouver du positif et du motivant. Il ne faut jamais laisser notre esprit nous entrainer dans la chute libre. Sur une course cela se résume à l’abandon et au moment où cela me traverse l’esprit, je me répète cette phrase des dizaines de fois: « Rien ni personne ne pourra te détourner de ton objectif », « Rien ni personne ne pourra te détourner de ton objectif », « Rien ni personne ne pourra te détourner de ton objectif »…

Me voilà, 1H30, 5km, les chemins sont techniques entre ces deux points mais j’ai vraiment été très lent… trop lent pour mon objectif de base. En basculant de l’autre côté du Passeur, je me dis qu’une nouvelle course commence, une nouvelle course non pas contre les autres mais contre moi-même. Je décide de solutionner un point qui me gêne depuis Bourg-St-Maurice, deux belles irritations aux plis de mes aines. On se dit que ce n’est rien mais au fur et à mesure des kilomètres le short ronge la peau avec le sel de la sueur et je vous assure que ça fait mal! Quand je lève mon short pour voir les dégâts je me rends compte du mal… STRAP! Je sors mon rouleau de strap et je protège les irritations tant bien que mal! Le soulagement est immédiat! Pourquoi ne pas l’avoir fait avant? La procrastination… je travaille énormément sur moi mais on ne gomme pas un défaut aussi facilement! Mon état ne s’arrange pas pour autant, je vais de plus en plus mal. Je sais que je vais retrouver Flavie au Cormet de Roselend, cette descente est technique mais agréable, j’y prends même du plaisir.

A la fin du passage technique, j’aperçois Flavie et j’oublie mon ventre l’espace de quelques foulées. Je prends le temps de me rafraichir dans le ruisseau et je reprends mes esprits. Je me rends compte à ce moment-là que j’ai perdu mes lunettes de soleil et que je n’ai aucun « vrai » souvenir de la dernière heure… « Suis-je mal à ce point? » Je ne laisse pas de place à cette réflexion, j’échange quelques mots avec Flavie et je trottine ensuite vers le ravitaillement.

Mercredi 24, 16H31

Passage au ravitaillement, je ne m’arrête pas, je remplis mes gourdes et je continue mon pénible chemin en marchant tout en me disant « tu es plus fort que ça, ton corps va se remettre » et je visualise mon arrivée 2015 et les moments agréables et réconfortants de l’arrivée.

Dans ces moments de douleur, il faut se remémorer les sacrifices faits au cours de l’année pour ce moment précis. Visualiser un entrainement difficile et se souvenir de la satisfaction du travail accompli. Se souvenir des heures sur le vélo, en balade, des échanges avec les copains, cela fonctionne à merveille sur moi!

Xavier, un coureur d’Annecy me dépasse, j’échange quelques mots avec lui et cela me fait le plus grand bien! Je décide de me mettre derrière lui et de courir… Nous échangeons et nous restons ensemble jusqu’à La Gitte. Nous passons à ce point à 18H00 et à ce moment-là, je pense que mon corps reprend le dessus et cela est très positif!

Mercredi 24 19H00

Je suis à 3 kilomètres du col de la Gitte, mon corps me lâche! Je baille comme jamais à me mettre des crampes dans la mâchoire! Mes yeux se ferment, je regarde ma montre et je vois que je marche à une allure de 19 minutes par kilomètre… Le grand vide! Je m’assois et je fais un check-up!  Je ventile bien, mon pouls est stable, je pense alors à la déshydratation. Alors je me mets à boire, quelques secondes plus tard je vomis cette eau, ma vision se trouble, je panique un instant. Je n’ai jamais connu cette situation, mais je mets en place une sorte de raisonnement de survie, « souviens toi ta chute de vélo, c’était plus grave que ça! Tu n’as pas paniqué! » Je m’allonge dans le fossé, j’entends les coureurs passer et me demander « Are you ok? », je leur réponds: « Yes thank you, just one minute! » Mais je ne les vois pas, mes yeux se ferment, je baille, je ne veux qu’une chose, dormir! « Non,non, non! Ne cède pas au sommeil, mange un abricot! » Je me parle, j’exécute mes propres ordres. Je mâche lentement. « Pourquoi manges-tu un abricot? Je sais que ce sont de bonnes glucides et que l’abricot régule l’acidité ». Je me concentre à ce moment-là sur le contenu de mon sac et j’y fais l’inventaire pour me faire un cocktail qui pourrait me remettre sur pied! Stickola! C’est un savant mélange de café vert, guarana, vitamine C, ginseng… Je prépare ça dans mon gobelet et j’attends le miracle. Je décide de ne pas trop attendre et je me relève. Je marche doucement et je rattrape un coureur échoué comme moi. Je n’ai pas la force d’échanger avec lui et je continue ma route.

Un point d’assistance se trouve sur mon chemin avec une chaise! Je n’hésite pas à m’assoir dessus! L’autre coureur me rejoint. Nous échangeons quelques mots et je lui demande s’il veut faire route avec moi. Et nous voilà partis vers le col du Joly. L’entente est bonne, pas encore à la rigolade mais l’un comme l’autre nous sentons que cela va mieux avec le soleil qui se couche, moment magique!

Mercredi 24, 20H52

Nous voilà au col du Joly, Rémy et moi avons croisé d’autres coureurs et nous les avons encouragés pour les mettre dans notre dynamique positive! Un thé bien chaud, deux bananes et ça repart! Nous prenons le temps de la digestion et nous COURONS, oui vous avez bien lu, nous courons jusqu’aux Contamines. L’humeur est bonne, nous nous remémorons notre passage à vide en se disant « le corps, c’est vraiment un truc de malade! » Notre descente est motivée à l’idée de retrouver nos proches, les minutes sont longues mais nous prenons du plaisir à être en montagne.

 

Mercredi 24, 22H26

Il fait maintenant nuit noire mais nous voyons les lumières du ravitaillement des Contamines.

Arrivé aux Contamines

 

En entrant dans ce ravitaillement, Rémy et moi nous donnons 20 mn pour nous poser avant de faire cap sur Chamonix! Durant ces 20 mn aux côtés de Flavie, je prends du temps pour la première fois sur un ultra. Quel plaisir! Je dois refaire mes pansements aux plis des aines. Je vous passe les détails du décollage des straps… Une petite douleur pour faire oublier les autres! Je change de maillot, je refais le plein de barres et d’abricot et en route! Je croise à nouveau Raquel et Aurélien qui sont venus me voir! Encore merci pour ce cliché à l’entrée des Contamines, quelle heureuse surprise de les voir!

Jeudi 25, 00H47

Nous voilà au col du Tricot, quelle montée! Nous nous sommes vraiment fait plaisir avec Rémy. Les températures sont douces, le moral est au beau fixe, c’est sur ces notes positives que nous entamons la descente vers les Houches!

Jeudi 25, 02H28

Passage aux Houches rapide après une longue descente. La fatigue n’était plus présente, l’excitation de l’arrivée prenait le dessus sur tout le reste. Nous échangeons et rigolons avec les bénévoles du ravitaillement. Je profite de ce passage pour remercier du fond du coeur toutes ces personnes qui oeuvrent pour notre plaisir de balader en montagne.

Les huit derniers kilomètres ne sont pas du tout à l’image du reste de la course, longs, un peu ennuyeux et surtout monotones… Le temps passe vite et bien en compagnie de Rémy et Adrien. L’allure est bonne, environ 6’00 » au kilomètre, pour des mecs qui ont 21 heures de balade dans les jambes on n’est pas mal! L’esprit d’équipe, les pensées positives nous font profiter de ce moment unique!

Jeudi 25, 3H42

Vingt mètres, dix mètres, trois mètres, deux mètres et un mètre, nous pouvons enfin nous arrêter! Cette folle journée prend fin une fois de plus sur la Place du Triangle de L’Amitié! Quel nom pour une place où sur deux années consécutives, je termine main dans la main avec deux autres coureurs. C’est ça ma version de l’ultra, une longue journée partagée entre mille émotions mais surtout PARTAGÉE avec des humains! Aujourd’hui en vous écrivant je ne sais plus ce qui me motive le plus, une course seul avec un chrono ou une aventure…

Je ne remercierai jamais assez Flavie pour ces 21H41’47 » de patience entre la voiture et le bord des chemins pour me permettre de partager avec elle la satisfaction de passer cette ligne.

Je tiens aussi à partager avec vous qui me lisez un fait de course qui m’a mis du baume au coeur… A deux reprises, deux coureurs avec lesquels j’ai échangé m’ont reconnu et m’ont dit avoir lu et suivi mon blog! Merci à vous de me suivre dans mes aventures!

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J’ai repris les chemins de l’entrainement aujourd’hui avec pour objectif un record existant sur nos Côtes Normandes, un projet auquel j’ai réfléchi et qui mêlera dépassement de soi et partage car je pense que c’est ce qui me fait aujourd’hui le plus vibrer…

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